Parcours semaine 5

Ecrire demande un effort constant, mais pas surhumain. Je vous propose, dans cette séance, d’effectuer des actions d’écriture pour vous aider à construire votre nouvelle.

Nous allons nous inspirer des méthodes utilisées dans le monde du cinéma.

Je vous conseille, tout particulièrement, la lecture d’un livre : Construire un récit, d’Yves Lavandier, aux éditions Le Clown à l’enfant. Il propose une méthode claire et complète qui découle à la fois de la compréhension de l’art narratif et de sa propre expérience d’auteur, pédagogue et script doctor. Les exemples sont principalement puisés dans le répertoire dramatique (théâtre, cinéma, télévision, bande dessinée).

 

Le pitch  (durée : une heure)

Le pitch, contrairement aux définitions trouvées sur internet, n’est pas un résumé ni une synthèse, mais le concept, le sujet de votre histoire. Il se compose d’une phrase ou d’un petit paragraphe qui répond aux questions du 5W des Anglo-saxons : Who, What, When, Where, Why.

Bien sûr vous ne dévoilerez pas le dénouement de votre histoire, mais votre pitch devra être court et concis.

Vous allez donner envie d’en savoir plus à votre lecteur. Ce n’est pas un incipit, mais le pitch permet de construire en peu de mots l’ossature de votre histoire.

Pour vous faire une idée de ce qu’est un pitch, je vais complètement casser vos préjugés : prenez votre programme de télévision préféré, et cherchez le film qui va accompagner votre plateau télé. Vous me suivez ? Ce que vous lirez, ce n’est pas un résumé du film (puisqu’on ne connaît pas la fin), mais les réponses aux 5W citées plus haut.

Le pitch est un exercice oral avant d’être écrit.

Vous allez, par groupe de deux, élaborer 2 pitchs à partir d’une contrainte. Chaque pitch devra contenir :

qui : un ou deux personnages,

quoi : une rencontre,

quand : à midi,

où : à une terrasse de café.

Pour le comment, je vous laisse imaginer. Car, dans votre pitch, vous devrez mentionner l’obstacle (à la base de l’intrigue) et ce qui fera changer votre personnage principal.

Puis vous exposerez oralement un des deux pitchs aux autres participants.

 

 

La trajectoire interne (durée : une heure)

Une nouvelle et de surcroît un bon film doivent permettre à votre personnage principal (protagoniste) de passer d’un état initial à un état final : c’est ce qu’on appelle une transformation, un changement.

Bien sûr, cette transformation doit servir votre idée de départ, votre intention.

Voulez-vous montrer qu’une personne malhonnête peut s’élever au point de devenir d’une honnête irréprochable ?

Il n’est pas nécessaire que votre personnage passe d’une attitude extrême à une autre, au risque de ne pas être crédible aux yeux de votre lecteur.

Pour vous permettre de choisir l’attitude de départ de votre personnage, voici une liste d’états d’un individu. Classez-les en 7 catégories, puis tracer un chemin d’un état extrême à l’autre.

Fuyard – Pourri – Révolté – Demeuré – Dévot – Avare – Dupe – Crédule – Regardant – Stupide – Rebelle – Corrompu – Lâche – Confiant – Économe – Non pratiquant – Limité – Récalcitrant – Correct – Timoré – Prudent – Désintéressé – Agnostique – Sensé – Posé – Honnête – Sceptique – Généreux – Athée – Intelligent – Souple – Vertueux – Courageux – Soupçonneux – Prodigue – Impie – Surdoué – Docile – Légaliste – Téméraire – Incorruptible – Intrépide

Pour vous aider, voici les sept catégories, de l’état initial à l’état final :

  • De fuyard à intrépide.
  • De pourri à incorruptible.
  • De révolté à soumis.
  • De demeuré à surdoué.
  • De dévot à impie.
  • D’ avare à prodigue.
  • De dupe à soupçonneux.

 

L’arène (durée 1 heure)

Votre histoire se déroule dans un décor qu’il n’est pas nécessaire de décrire trop précisément. Dans une nouvelle, les descriptions des lieux où se déroule l’histoire sont sans fioritures. Pourtant, dans la nouvelle contemporaine, le décor, l’arène peuvent prendre une place importante dans développement de l’histoire.

Pour vous en rendre compte, je vous propose un jeu d’écrire : transposer une nouvelle d’un auteur célèbre dans un autre lieu. Cette nouvelle courte situe l’action à la campagne, dans un champ de fraises. Je vous propose de réécrire cette nouvelle en changeant d’arène. Vous remarquerez qu’il vous faudra aussi modifier le titre, en fonction du lieu que vous aurez choisi. Par exemple, si vous choisissez la dune du Pilat comme arène, vous aurez du mal à y faire pousser des fraises.

A vous de jouer !

 

Les fraisesNouveaux contes à Ninon par Émile Zola (1893)

Un matin de juin, en ouvrant la fenêtre, je reçus au visage un souffle d’air frais. Il avait fait pendant la nuit un violent orage. Le ciel paraissait comme neuf, d’un bleu tendre, lavé par l’averse jusque dans ses plus petits coins. Les toits, les arbres dont j’apercevais les hautes branches entre les cheminées, étaient encore trempés de pluie, et ce bout d’horizon riait sous le soleil jaune. Il montait des jardins voisins une bonne odeur de terre mouillée.
— Allons, Ninette, criai-je gaiement, mets ton chapeau, ma fille… Nous partons pour la campagne.
Elle battit des mains. Elle eut terminé sa toilette en dix minutes, ce qui est très-méritoire pour une coquette de vingt ans.
À neuf heures, nous étions dans les bois de Verrières.

 

II

 

Quels bois discrets, et que d’amoureux y ont promené leurs amours ! Pendant la semaine, les taillis sont déserts, on peut marcher côte à côte, les bras à la taille, les lèvres se cherchant, sans autre danger que d’être vus par les fauvettes des buissons. Les allées s’allongent, hautes et larges, à travers les grandes futaies ; le sol est couvert d’un tapis d’herbe fine, sur lequel le soleil, trouant les feuillages, jette des palets d’or. Et il y a des chemins creux, des sentiers étroits, très sombres, où l’on est obligé de se serrer l’un contre l’autre. Et il y a encore des fourrés impénétrables, où l’on peut se perdre, si les baisers chantent trop haut.
Ninon quittait mon bras, courait comme un jeune chien, heureuse de sentir les herbes frôler ses chevilles. Puis elle revenait et se pendait à mon épaule, lasse, caressante. Toujours le bois s’étendait, mer sans fin aux vagues de verdure. Le silence frissonnant, l’ombre vivante qui tombait des grands arbres nous montaient à la tête, nous grisaient de toute la sève ardente du printemps. On redevient enfant, dans le mystère des taillis.
— Oh ! des fraises, des fraises ! cria Ninon en sautant un fossé comme une chèvre échappée, et en fouillant les broussailles.

 

III

 

Des fraises, hélas ! non, mais des fraisiers, toute une nappe de fraisiers qui s’étalait sous les ronces.
Ninon ne songeait plus aux bêtes dont elle avait une peur horrible. Elle promenait gaillardement les mains au milieu des herbes, soulevant chaque feuille, désespérée de ne pas rencontrer le moindre fruit.
— On nous a devancés, dit-elle avec une moue de dépit… Oh ! Dis, cherchons bien, il y en a sans doute encore.
Et nous nous mîmes à chercher avec une conscience exemplaire. Le corps plié, le cou tendu, les yeux fixés à terre, nous avancions à petits pas prudents, sans risquer une parole, de peur de faire envoler les fraises. Nous avions oublié la forêt, le silence et l’ombre, les larges allées et les sentiers étroits. Les fraises, rien que les fraises. À chaque touffe que nous rencontrions, nous nous baissions, et nos mains frémissantes se touchaient sous les herbes.
Nous fîmes ainsi plus d’une lieue, courbés, errants à droite, à gauche. Pas la plus petite fraise. Des fraisiers superbes, avec de belles feuilles d’un vert sombre. Je voyais les lèvres de Ninon se pincer et ses yeux devenir humides.

 

IV

 

Nous étions arrivés en face d’un large talus, sur lequel le soleil tombait droit, avec des chaleurs lourdes. Ninon s’approcha de ce talus, décidée à ne plus chercher ensuite. Brusquement, elle poussa un cri aigu. J’accourus, effrayé, croyant qu’elle s’était blessée. Je la trouvai accroupie ; l’émotion l’avait assise par terre, et elle me montrait du doigt une petite fraise, à peine grosse comme un pois, mûre d’un côté seulement.
— Cueille-la, toi, me dit-elle d’une voix basse et caressante.
Je m’étais assis près d’elle, au bas du talus.
— Non, répondis-je, c’est toi qui l’as trouvée, c’est toi qui dois la cueillir.
— Non, fais-moi ce plaisir, cueille-la.
Je me défendis tant et si bien que Ninon se décida enfin à couper la tige de son ongle. Mais ce fut une bien autre histoire, quand il fallut savoir lequel de nous deux mangerait cette pauvre petite fraise qui nous coûtait une bonne heure de recherches. À toute force, Ninon voulait me la mettre dans la bouche. Je résistai fermement ; puis, je finis par faire des concessions, et il fut arrêté que la fraise serait partagée en deux.
Elle la mit entre ses lèvres, en me disant avec un sourire :
— Allons, prends ta part.
Je pris ma part. Je ne sais si la fraise fut partagée fraternellement. Je ne sais même si je goûtai à la fraise, tant le miel du baiser de Ninon me parut bon.

 

V

 

Le talus était couvert de fraisiers, et ces fraisiers-là étaient des fraisiers sérieux. La récolte fut ample et joyeuse. Nous avions étalé à terre un mouchoir blanc, en nous jurant solennellement d’y déposer notre butin, sans rien en détourner. À plusieurs reprises pourtant, il me sembla voir Ninon porter la main à sa bouche.
Quand la récolte fut faite, nous décidâmes qu’il était temps de chercher un coin d’ombre pour déjeuner à l’aise. Je trouvai, à quelques pas, un trou charmant, un nid de feuilles. Le mouchoir fut religieusement placé à côté de nous.
Grands dieux ! qu’il faisait bon là, sur la mousse, dans la volupté de cette fraîcheur verte ! Ninon me regardait avec des yeux humides. Le soleil avait mis des rougeurs tendres sur son cou. Comme elle vit toute ma tendresse dans mon regard, elle se pencha vers moi, en me tendant les deux mains, avec un geste d’adorable abandon.
Le soleil, flambant sur les hauts feuillages, jetait des palets d’or, à nos pieds, dans l’herbe fine. Les fauvettes elles-mêmes se taisaient et ne regardaient pas. Quand nous cherchâmes les fraises pour les manger, nous nous aperçûmes avec stupeur que nous étions couchés en plein sur le mouchoir.