Incipit, vous avez-dit incipit ? (durée : 30 ‘)
Ce mot latin (“Il commence”) désigne les premiers mots d’un texte narratif.
Dans une nouvelle, l’incipit (prononcez “ine-ki-pite”) est ce qui va captiver votre lecteur dès les premiers mots, si bien que vous le tiendrez jusqu’à la fin. Mais attention, n’en dites pas trop, mais suffisamment pour qu’il soit intrigué, accroché, pris dans vos filets. Et alors vous aurez gagné.
Mais plus que de tenir son lecteur, l’incipit a aussi d’autres fonctions :
– il donne une grille de lecture : il permet d’apercevoir le genre. Un roman, une nouvelle ou un conte ne commenceront pas de la même manière. Il donnera une indication sur le sous-genre de la nouvelle : policier, fantastique, romantique, réaliste. Et enfin il indiquera le choix de narration de son auteur, c’est-à-dire le point de vue narratif (comment se situe le narrateur dans l’histoire), le vocabulaire, le registre de langue.
– il introduit le lecteur dans un monde fictif :il donne des informations sur le contexte (qui, que, quoi, quand, où, comment, combien, pourquoi )
– il permet d’accrocher le lecteur, de le séduire, par le style, l’originalité, le mode d’entrée plus ou moins rapide dans l’intrigue.
Pendant 30 ‘, vous allez choisir parmi ces incipit celui qui vous a séduit. Vous expliquerez pourquoi.
Les Misérables de Hugo : « En 1815, M. Charles-François-Bienvenu Myriel était évêque de Digne. C’était un vieillard d’environ soixante-quinze ans ; il occupait le siège de Digne depuis 1806. »
Les beaux quartiers d’Aragon : « Dans une petite ville française, une rivière se meurt de chaud au-dessus d’un boulevard, où, vers le soir, des hommes jouent aux boules, et le cochonnet valse aux coups habiles d’un conscrit portant à sa casquette le diplôme illustré, plié en triangle, que vendaient à la porte de la mairie des forains bruns et autoritaires. »
Salammbô de Flaubert : « C’était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d’Hamilcar. »
Germinal de Zola : « Dans la plaine rase, sous la nuit sans étoiles, d’une obscurité et d’une épaisseur d’encre, un homme suivait seul la grande route de Marchiennes à Montsou dix kilomètres de pavé coupant tout droit, à travers les champs de betteraves. »
La Modification de Butor : « Vous avez mis le pied gauche sur la rainure de cuivre, et de votre épaule droite vous essayez en vain de pousser un peu plus le panneau coulissant. »
Les Aventures de Télémaque de Fénelon : « Calypso ne pouvait se consoler du départ d’Ulysse. »
Lolita de Nabokov : « Lolita, lumière de ma vie, feu de mes reins. »
La Condition humaine de Malraux : « Tchen tenterait-il de lever la moustiquaire ? »
Bel-Ami de Maupassant : « Quand la caissière lui eut rendu la monnaie de sa pièce de cent sous, Georges Duroy sortit du restaurant. »
Anna Karénine de Tolstoï : « Toutes les familles heureuses se ressemblent, mais chaque famille malheureuse l’est à sa façon. »
Vie d’ André Dufourneau de Pierre Michon “Avançons dans la genèse de mes prétentions.
Ai-je quelque ascendant qui fut beau capitaine, jeune enseigne insolent ou négrier farouchement taciturne? À l’est de Suez quelque oncle retourné en barbarie sous le casque de liège, jodhpurs aux pieds et amertume aux lèvres, personnage poncif qu’endossent volontiers les branches cadettes, les poètes apostats, tous les déshonorés pleins d’honneur, d’ombrage et de mémoire qui sont la perle noire des arbres généalogiques? Un quelconque antécédent
colonial ou marin?”
L’Étranger de Camus : « Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. »
Aurélien d’Aragon : « La première fois qu’Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide. »
Le Comte de Monte-Cristo de Dumas : « Le 24 février 1815, la vigie de Notre-Dame de la Garde signala le trois-mâts le Pharaon, venant de Smyrne, Trieste et Naples ».
Orgueil et préjugés de Jane Austen : « C’est une vérité universellement reconnue qu’un célibataire pourvu d’ une belle fortune doit avoir envie de se marier. »
La parure de Guy de Maupassant : “C’était une de ces jolies et charmantes filles, nées, comme par une erreur du destin, dans une famille d’employés. Elle n’avait pas de dot, pas d’espérances, aucun moyen d’être connue, comprise, aimée, épousée par un homme riche et distingué; et elle se laissa marier avec un petit commis du ministère de l’Instruction publique.”
Incipit : à vous de jouer (durée : 30 ‘)
Vous allez réécrire l’incipit de la nouvelle d’Edgar Allan Poe traduite par Charles Baudelaire : “Le portrait ovale”. Ne vous divulgâchez pas, ne vous aidez pas de l’original.
Puis, seulement après avoir terminé, allez comparer votre production avec l’œuvre originale. Qu’en pensez-vous ?
Résumé du portrait ovale :
Un homme blessé et son domestique s’installent pour une nuit dans un château étrange et abandonné des Apennins. La nuit, alors que le maître ne trouve pas le sommeil, il contemple les tableaux exposés dans sa chambre, tout en lisant le volume trouvé sur son oreiller contenant l’analyse de ces toiles.
Quelques heures plus tard, le narrateur se penche pour déplacer le candélabre qui l’éclaire, un rai de lumière éclaire alors un tableau au réalisme saisissant qu’il n’avait pas remarqué.
Le tableau représente une jeune fille presque devenue femme . Le tableau est peint avec tellement de virtuosité et tellement d’ardeur que la jeune fille paraît vivante, ce qui frappe le narrateur. Après avoir passé plus d’une heure à contempler le tableau, l’homme lit l’analyse de ce portrait dans le recueil.
Le reste de la nouvelle est un extrait de ce volume qui raconte l’histoire du tableau.
La jeune fille était une personne d’une rare beauté qui épousa un peintre, qui était passionné par son art, ce qui la rendit malheureuse.
Un jour, le peintre décida de faire un portrait d’elle, ce qu’elle n’osa refuser. À mesure que les semaines passaient, le tableau était de plus en plus abouti et le peintre, sans remarquer que son épouse allait de plus en plus mal, après des heures passées dans la tour où il la peignait, était de plus en plus absorbé par son travail. Ce travail intensif rendit le peintre fou. Le jour où le tableau fut achevé, le peintre se rendit compte que son tableau était la vie même et que sa femme était morte après avoir donné vie au tableau.
Votre incipit devra renseigner le lecteur sur le qui (les personnages), le quand (à quel moment de la journée) et le où (dans quel lieu). Et c’est un minimum. Vous pouvez utiliser une ou plusieurs phrases. Accrochez-le, séduisez-le par votre style.
L’élément déclencheur (durée : 30 ‘)
Dans le schéma narratif, l’état initial, l’incipit, va subitement être perturbé par un élément déclencheur. Rapidement, car dans une nouvelle littéraire, le temps nous est conté (compté). Excusez cet homophone, mais la notion d’unité de temps impose à l’auteur de ne jamais se détourner de son objectif : surprendre en peu de mots ; et chaque mots comptent. Vous aurez d’ailleurs l’occasion, dans un exercice, de créer une nouvelle en une phrase. Mais pour l’instant, je vous propose un exercice amusant.
Vous allez choisir un des quatre incipit proposés ci-après, puis vous imaginerez la suite, l’élément déclencheur qui va pertuber cet état initial stable. Il concerne forcément un protagoniste de la nouvelle.
Pensez à votre style, il ne doit pas être éloigné de l’incipit que vous avez choisi. Ne cherchez pas à plagier (copier) le texte original de la nouvelle.
1. La femme au taxi, d’Andrée Chedid, Les Corps et le Temps (1979).
“Devant les portes vitrées du Grand Hôtel, les touristes attendent en file sur le trottoir.
A volant de son taxi sombre aux ailes blanches, Mounira se range devant les premiers clients. Un couple s’engouffre, qu’elle aperçoit à peine ; elle aura, le long du parcours, tout le temps de les découvrir”
2. La ronde, de Jean-Marie Gustave Le Clézio, La Ronde et autres faits divers (1982).
“Les deux jeunes filles ont décidé de se rencontrer là, à l’endroit où la rue de la Liberté s’élargit pour former une petite place. Elles ont décidé de se rencontrer à une heure, et que ça leur laissait tout le temps nécessaire. Et puis, même si elles arrivaient en retard ? Et quand bien même elles seraient renvoyées de l’école, qu’est-ce que ça peut faire ? C’est ce qu’a dit Titi, la plus âgée, qui a des cheveux rouges, et Martine a haussé les épaules, comme elle fait toujours quand elle est d’accord et qu’elle n’a pas envie de le dire. Martine a deeux ans de moins que Titi, c’est à dire qu’elle aura dix-sept ans dans un mois, bien qu’elle ait l’air d’avoir le même âge. Mais elle manque un peu de carctère, comme on dit, et elle cherche à dissimuler sa timidité sous un air renfrogné, en haussant les épaules pour un oui ou pour un non, par exemple.”
3. La débutante, de Leonora Carrington, La Débutante. Contes et pièces (Flammarion, 1978).
“Du temps que j’étais débutante, j’allais souvent au jardin zoologique. J’y allais si souvent que je connaissais mieux les animaux que les jeunes filles de mon âge. C’était pour échapper au monde que je me trouvais chaque jour au zoo. La bête que j’ai le mieux connue était une jeune hyène. Je lui appris le français et, en retour, elle m’apprit sa langue. Nous passâmes ainsi bien des heures agréables”
4. Un philosophe, d’ Alphonse Allais.
“Je m’étais pris d’une profonde sympathie pour ce grand flemmard de gabelou qui me semblait l’image même de la douane, non pas de la douane tracassière des frontières terriennes, mais de la bonne douane flâneuse et contemplative des falaises et des grèves.
Son nom était Pascal ; or, il aurait dû s’appeler Baptiste, tant il apportait de douce quiétude à accomplir tous les actes de sa vie.
Et c’était plaisir de le voir, les mains derrière le dos, traîner lentement ses trois heures de faction sur les quais, de préférence ceux où ne s’amarraient que des barques hors d’usage et des yachts désarmés.”
Le moteur de la transformation : l’intrigue (durée : 30 ‘)
C’est à la fois le moteur et le carburant de votre nouvelle. L’intrigue va transformer votre personnage principal par des péripéties (parfois une seule dans la nouvelle). L’intrigue est ce qui nous intrigue. Désolé, monsieur de La Palisse, mais on l’oublie parfois. Donc, le récit se doit d’étonner, d’intriguer le lecteur. Dans “La ronde” , une nouvelle réaliste de JMG Le Clézio, l’intrigue se situe dans la confrontation entre des descriptions abondantes des protagonistes et des lieux (réalistes), un peu en contradiction avec le genre de la nouvelle, mais nécessaire, car ce sont elles qui portent l’intrigue.
L’intrigue se nourrit des conflits portés par les protagonistes . Ce peut être un obstacle interne, d’ordre affectif par exemple, ou bien externe (matériel, idéologique, social, ou une situation cornélienne).
La quête poursuivie par le(s) protagoniste(s) pour contourner l’obstacle va le(s) transformer.
Comme vous le voyez, pour construire une bonne intrigue, l’auteur devra choisir des obstacles pour ses protagonistes suffisamment captivants et accrocheurs, pour tenir ses lecteurs en haleine.
Dans cet exercice, votre objectif sera de trouver des personnages et des obstacles à leur faire franchir, des obstacles en contradiction avec leurs caractéristiques.
Exemple :
Un homme découvre en rentrant chez lui que sa maison est occupée par une famille qui n’est pas la sienne.
Complétez votre liste avec 10 intrigues.
La nouvelle “expresso” (durée : 1 heure)
Pour terminer cette séance, vous allez écrire une nouvelle à la limite du conte. Je m’explique :
Au 19ème siècle, les deux termes sont employés indifféremment. Alors, comment faire la différence ?
– la nouvelle est plus réaliste que le conte, elle dépeint souvent une esthétique contemporaine et se rapproche par là du roman ;
– le conte, lui, s’ancre souvent dans le registre du fantastique et du merveilleux. Une autre de ses caractéristiques tient à ce qu’il soit souvent porteur d’une morale ;
– le conte nous fait aussi entendre la voit du conteur.
Jacques Sternberg, l’auteur des Contes Glacés, nous en offre un exemple avec “Les Ennemis”. Cette histoire courte se caractérise par son style épuré, sans fioriture. En 301 mots, tout y est.
– l’état initial
– l’évènement perturbateur
– les péripéties et le conflit (l’intrigue)
– le dénouement
– l’état final
Durée : 10 minutes. Dans un premier temps, repérez dans l’œuvre “Les Ennemis”, les structures de la nouvelle. (même s’il s’agit d’un conte, les deux procèdent de la même structure)
Durée : 50 minutes. Vous écrirez une nouvelle d’une page (un feuillet = 1500 signes environ , espaces comprises). Elle devra respecter la structure de la nouvelle.
Pour vous faciliter la vie :
– deux personnages maximum.
– limitez les descriptions : essayez d’utiliser un minimum d’adjectifs.
– une seule péripétie : les deux protagonistes entrent immédiatement dans un conflit. (un seul personnage si vous choisissez un conflit intérieur).
– la résolution sera la chute de votre nouvelle : le ou les protagonistes auront changé.
“Les Ennemis” de Jacques Sternberg (Contes Glacés, 1974)
Tout d’abord, l’enfant avait capturé l’araignée. Il l’avait enfermée dans une petite boîte. Puis il avait capturé la mouche. Il l’avait enfermée dans une autre petite boîte. Après quelques jours, il avait regardé. L’araignée lui parut de taille à attaquer, la mouche de taille à se défendre. Il déversa les deux adversaires dans un bocal en verre ; il attendit ensuite. Rien ne se passa le premier jour. L’enfant décida d’attendre encore quelques jours, de séparer l’araignée de la mouche, de les laisser grandir. Et vraiment les insectes grossirent de jour en jour, l’araignée devint de plus en plus capable de tuer, la mouche de ne pas se laisser tuer sans combattre. Un soir enfin, l’enfant prit la décision d’en finir. Pour la deuxième fois, il jeta dans un même bocal la mouche et l’araignée … Rien n’arriva. Des jours passèrent. L’enfant se vit obligé de changer le bocal contre un petit aquarium. Il y plaça les personnages du drame qui, très certainement, n’allait plus tarder à arriver. L’enfant passa toute la soirée à le guetter ce drame, les yeux confondus dans le verre de la paroi. L’araignée s’était nichée dans un coin. La mouche, dans un autre coin, un peu plus haut. Fait étrange, les insectes ne semblaient pas s’observer. Ils regardaient au-delà du verre, semblait-il ; l’enfant souriait et se demandait ce qu’ils regardaient, de même qu’il se demandait ce qu’ils attendaient ; il se posa ces questions durant quelques heures, puis, éreinté, à bout de patiences, les yeux vidés de curiosité et de regard, il s’endormit. Alors l’araignée bougea et se dirigea vers la mouche, la mouche bougea elle aussi, se dirigea vers l’araignée. Les deux insectes s’accrochèrent à la paroi de verre, ils firent craquer le couvercle de leur prison, et, en six minutes, ils dévorèrent l’enfant.